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  • Le cygne du Châlet des isles


Et revoici la 403 bleu-marine en ronde de nuit. Notre attention est attirée par un bruit de tôle froissée. Dans le même temps, à quelque cent mètres devant nous, une voiture traverse la rue dans une gerbe d’étincelles sur le pavé. il faut aller voir ce qui se passe.

L’automobiliste avait totalement perdu le contrôle de sa voiture et tenait toute la largeur de la chaussée, zigzagant de droite à gauche pour finalement terminer sa course sur un lampadaire. L’homme, légèrement blessé, était ivre-mort, la voiture en piteux état, cabossée de partout, les quatre pneus crevés. Depuis combien de kilomètres roulait-il sur ses jantes, cause du bruit et des étincelles qui avaient attiré notre attention ? Ce qui nous inquiétait, c’était les taches de sang sur l’avant de la voiture. « Ce con aurait-il écrasé un passant ? » L’interroger ? encore fallait-il qu’il nous comprenne. ses déclarations plus que confuses nous laissèrent penser qu’il sortait d’une réception tenue au Châlet des isles sur le lac du Bois de Boulogne.

Par radio, je demande au central 16e d’envoyer un équipage autour des lacs. en attendant, on s’occupe de l’ivrogne. Ne souffrant que de légères blessures vite soignées à Laennec où la prise de sang n’est pas oubliée, il se retrouve au violon jusqu’à complet dégrisement et faisant l’objet de poursuites pour conduite en état d’ivresse.

Le car du 16e ne tarda pas à nous rendre compte de ses découvertes. il y avait réellement eu accident mortel au Bois de Boulogne. Dans une allée bordant les lacs, ils avaient trouvé le cadavre d’un cygne ou d’un gros canard peu importe le volatile. C’était l’explication de la présence du sang sur le capot.

Cet épisode m’amène à me souvenir des débuts laborieux de la mise en place des mesures légales anti-alcooliques au volant. elles doivent dater des années 55-56 (j’étais brigadier à sceaux). Comme d’habitude, la procédure débutait dans le désordre. il fallait faire les prises de sang, sans matériel spécialisé. résultat, le brigadier de police-secours passait chez le pharmacien du coin quémander un flacon vide et se rendait à l’hôpital, ou il trouvait un médecin bénévole pour la prise de sang. Une étiquette collée sur la fiole était sensée identifier le coupable. C’était pain béni pour les avocats qui n’avaient aucun mal à contester l’authenticité du sang ainsi conservé.

Ensuite, l’Administration fournira une mallette standardisée pour tous les services, contenant flacons, étiquettes devant être signées par le médecin ayant procédé à la prise de sang, par le brigadier de police-secours, par le contrevenant lui-même et enfin les scellés aux armes du service de police intervenant. Ça devenait sérieux et surtout inattaquable.

Dix ans plus tard, lieutenant au 7e, le système étant bien rôdé, autre aventure de carafon.

Louis Malle, metteur en scène, au volant de sa voiture, rue de Grenelle, heurte une voiture du Corps Diplomatique appartenant à l’ambassade d’Urss à cette époque, située près du central 7e. Pas de blessé, pas de dégât, affaire mineure, en fait. Mais le diplomate, parlant un français parfait, accuse le cinéaste d’être pris de boissons, ce qui manifestement était inexact. Le constat établi, le diplomate parti, Louis Malle resta quelques instants pour bavarder. Je lui conseillai de faire une prise de sang de sécurité en raison des suites possibles des accusations du russe… il accepte.

Le brigadier de Ps s’aperçoit qu’il n’a plus de flacon dans sa mallette. Pas de problème, il monte à l’étage, au secrétariat qui dispose de toutes les fournitures de la maison, pas de chance, le réapprovisionnement a été négligé. Toujours pas de problème, je téléphone à mon collègue du 8e arrondissement, même échec. Cette fois, j’appelle l’etat-Major. Là aussi, on en manque ! Louis Malle a perdu une heure, mais il se marre ; moi, je suis marri ! on se sépare dans un éclat de rire. Je l’assure de mon témoignage en cas de rebondissement de l’affaire. Je n’ai jamais revu Louis Malle.

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